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Une étude collaborative menée en Méditerranée par l’EPHE-PSL, avec l’Université de Montpellier et l’Université de Perpignan, révèle que si certaines espèces de poissons dépendent des mesures de protection pour persister, d’autres restent inféodées à une mer anthropisée. Publiés le 28 Avril dans la revue Proceedings of the Royal Society B, ces résultats remettent en question les indicateurs actuels de mesure du bon état écologique d’un écosystème et amènent à repenser la stratégie de conservation des espèces. 

L’étude française fut menée par un large consortium composé de chercheurs de l’École Pratiques des Hautes Études (EPHE), de l’Université de Montpellier, de l’Université de Perpignan et de leurs partenaires (Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse, SpyGen et Andromède Océanologie). L’objectif des chercheurs était de caractériser de manière plus exhaustive la biodiversité des poissons à l’intérieur mais aussi à l’extérieur de 6 réserves marines et ainsi de mieux évaluer l’impact des mesures de protection grâce à l’analyse de l’ADN environnemental.

Des aires marines pour protéger la biodiversité

Pour lutter contre les pressions humaines, notamment la surpêche, plus de 14 000 aires marines protégées (AMP), couvrant plus de 6 % des océans, ont été mises en place. Or, seules les AMP avec des interdictions ou restrictions de pêche, appelées réserves marines, sont réellement efficaces pour maintenir des populations viables d’espèces exploitées. Ces réserves couvrent moins de 3 % de l’océan mais font l’objet d’un consensus concernant leur capacité à protéger d’importantes tailles de populations, des gros individus qui assurent la reproduction, et des espèces vulnérables à la pêche. En revanche, leur bénéfice sur le niveau de diversité en espèces reste marginal voire non reporté dans de nombreuses études. Est-ce dû à un biais d’échantillonnage ?

L’ADN environnemental : une alternative au recensement visuel sous-marin

Classiquement, l’abondance et la biodiversité en poissons sur le littoral méditerranéen sont étudiées par recensement visuel sous-marin grâce aux plongeurs scientifiques ou aux caméras pour les milieux plus profonds. Or, ces deux méthodes sont souvent inefficaces pour les espèces crypto-benthiques de petite tailles (<10 cm pour les adultes) enfouies ou cachées dans le substrat (rochers, sables etc..), et les espèces pélagiques qui se déplacent rapidement en pleine eau.

Grâce à l’analyse de l’ADN environnemental, les chercheurs ont pu détecter des espèces inféodées à une mer anthropisée, et d’autres espèces dépendantes des mesures de protection pour persister. Cette méthode, reposant sur le fait que tous les êtres vivants laissent des traces ADN dans l’environnement, consiste à récupérer et analyser ces traces ADN laissées par les espèces vivant dans ces écosystèmes protégés, y compris des espèces crypto-benthiques, rares, furtives ou pélagiques. Les chercheurs ont ainsi filtré l’eau des 6 réserves et de sites situés à 5 et 10 km en dehors des limites de protection.

Le paradoxe des réserves marines méditerranéennes

Les analyses ont montré une augmentation de la biodiversité en poissons en fonction de la distance à la réserve. Ce résultat inédit et surprenant révèle un nouveau paradoxe en conservation.

L’autre résultat marquant de l’étude est la différence de composition en espèces entre les réserves et leur extérieur. Malgré la proximité géographique, ces sites présentent des espèces très différentes avec notamment bien plus d’espèces crypto-benthiques comme les gobies à l’extérieur des réserves, alors que les espèces vulnérables restent plus présentes à l’intérieur des réserves.

Les chercheurs nuancent toutefois ce paradoxe observé, estimant qu’il ne doit en aucun cas occulter le rôle clef des réserves marines en Méditerranée. En effet les espèces exploitées comme l’espadon ou la bonite restent plus détectées dans les réserves où elles sont protégées qu’à l’extérieur. Selon les scientifiques, ce résultat montre surtout que l’homme, à travers ses activités, a façonné des assemblages d’espèces très différents même localement. On distingue nettement des espèces inféodées à une mer anthropisée, et d’autres qui sont dépendantes des mesures de protection pour persister.

Une diversité de mesures de protection permettrait donc d’obtenir une forte biodiversité régionale selon les chercheurs. Cette étude pose alors la question de l’utilisation de la diversité spécifique (nombre d’espèces) comme seul indicateur du bon état écologique d’un écosystème ou comme objectif de gestion.

Communiqué de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes

 

 

 

Découvrez l’ADN environnemental en Méditerranée en cliquant sur la photo!

Références de la publication :

Environmental DNA metabarcoding reveals and unpacks a biodiversity conservation paradox in Mediterranean marine reserves.

Emilie Boulanger1,2,*, Nicolas Loiseau2, Alice Valentini3, Véronique Arnal1, Pierre Boissery4, Tony Dejean3, Julie Deter2,5, Nacim Guellati2, Florian Holon5, Jean-Baptiste Juhel2, Philippe Lenfant6, Stephanie Manel1 & David Mouillot2,7

Affiliations :

  1. CEFE, Univ Montpellier, CNRS, EPHE-PSL University, IRD, Montpellier, France Montpellier, France
  2. MARBEC, Univ Montpellier, CNRS, Ifremer, IRD, Montpellier, France
  3. SPYGEN, 73370 Le Bourget-du-Lac, France
  4. Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, Délégation de Marseille, Immeuble le Noailles, 62 La Canebière, 13001 Marseille, France
  5. Andromède Océanologie, 7 place Cassan, Carnon-Plage, 34130 Mauguio, France
  6. Univ. Perpignan Via Domitia, Centre de Formation et de Recherche sur les Environnements Méditerranéens, UMR 5110, 58 Avenue Paul Alduy, F-66860 Perpignan, France
  7. Institut Universitaire de France, Paris, France