La beauté ne fait pas tout chez les poissons tropicaux !
Les poissons tropicaux les moins attractifs ont une richesse fonctionnelle en moyenne 33 % supérieure à celle des poissons considérés comme les plus beaux, selon une étude menée par des écologues du CNRS, de l’université de Montpellier, d’Andromède Océanologie et du Centre universitaire de Mayotte. Notre perception de la beauté du vivant peut ainsi biaiser notre perception de la diversité écologique. Cette étude nous interpelle sur nos motivations à préserver la biodiversité. Publiée dans Scientific Reports le 6 août 2018, elle a reçu un financement du CNRS1 et de la Fondation de France.
Parmi les espèces dépendantes des récifs coralliens, les poissons forment un groupe riche de plus de 8 000 espèces, parmi lesquelles figurent des espèces emblématiques tel le poisson clown. Déterminer comment leur valeur esthétique est reliée à leur valeur écologique est un enjeu qui n’avait jamais été évalué. C’est pourquoi des chercheurs français ont mis au point une méthode permettant de mesurer la valeur esthétique des poissons tropicaux. Ils ont ainsi soumis à plus de 8 000 personnes, de 3 à 80 ans, des paires de photos présentant 116 espèces communes de poissons dans l’océan Indien ouest : chaque participant devait cliquer sur la photo de l’espèce qu’il trouvait la plus belle. Les photos ont ensuite été classées à partir de ces choix, en utilisant l’algorithme Elo (celui utilisé pour classer les joueurs d’échec par exemple), qui attribue un score à chaque photo selon les résultats des comparaisons par paires. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence une « universalité » dans la perception de la beauté, les poissons possédant notamment des motifs et une forte hétérogénéité de couleurs étant considérés les plus beaux.
Puis les chercheurs ont évalué le « rôle » écologique de chaque espèce en fonction de ses caractéristiques écologiques (taille, régime alimentaire, mode de vie, etc.). Ils ont ainsi pu montrer que les espèces les plus belles, les plus attractives aux yeux des personnes consultées, remplissaient beaucoup moins de fonctions écologiques que les espèces moins belles. « Les poissons les moins attractifs ont une richesse fonctionnelle en moyenne 33 % supérieure à celle des poissons les plus attractifs » détaille Nicolas Mouquet, directeur de recherche CNRS au laboratoire Marbec (CNRS/Université de Montpellier/IRD/Ifremer) et co-auteur de l’article. Ces résultats soulignent l’importance de la valeur esthétique dans notre perception de la biodiversité, ce qui pourrait avoir des conséquences majeures sur la façon dont nous protégeons notre environnement. Selon Nicolas Mouquet, « nous devons faire un effort de communication important sur la diversité biologique en ne privilégiant pas le beau et le sensationnel mais plutôt le rôle écologique des espèces ».
- Programme PEPS (Projets exploratoires premier soutien) du CNRS
Références :
Confronting species aesthetics with ecological functions in coral reef fish. Anne-Sophie Tribot, Quentin Carabeux, Julie Deter, Thomas Claverie, Sébastien Villéger, Nicolas Mouquet. Scientific Reports. Publié le 6 août 2018
DOI : 10.1038/s41598-018-29637-7
Poissons tropicaux à Mayotte © Thomas Claverie