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Au Printemps 2021 la mission scientifique inédite ANGE a débuté et permis l’approche de l’ange de mer commun ainsi que la découverte de son environnement. En 2022, cette étude sera poursuivie parallèlement à une étude sur le rôle écologique des frayères de picarels. Chaque printemps en Corse a lieu un phénomène exceptionnel et insoupçonné : les picarels (Spicara smaris) mettent en place leurs nids sur des centaines d’hectares de fonds meubles, à la limite inférieure des herbiers de posidonie et jusqu’à 60 m de profondeur. Cette nidification d’un petit poisson, très commun par ailleurs, est passée inaperçue jusqu’alors. Elle est pourtant à l’origine d’un bouleversement écologique majeur des écosystèmes concernés. La structure des fonds meubles, de sable, de vase, ou de rhodolithes, est totalement modifiée durant cette période, et la présence concentrée des picarels, attirent de grandes quantités de prédateurs, ayant un impact conséquent sur l’halieutique. L’un de ces prédateurs est l’ange de mer (Squatina squatina).

L’ange de mer (Squatina squatina)

Espèce de requin autrefois commune tout le long des côtes françaises (de 5 à 150 m de fond) l’ange de mer est désormais classé en danger critique d’extinction par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Il a donné son nom à la baie des Anges près de Nice tellement il y était abondant mais la Corse semble désormais être sa dernière zone de présence pour la France. Le projet scientifique nommé ANGE vise à mieux connaitre la biologie, l’habitat et les menaces de l’ange de mer commun pour mieux informer les pêcheurs, les scolaires, le grand public et les gestionnaires de l’environnement. Ce projet de recherche répond aux objectifs du plan régional d’actions de conservation pour les requins ange en Méditerranée paru en 2019 et l’action concertée pour l’ange de mer (Squatina squatina) de la convention sur les espèces migratrices. Il est soutenu par la Manufacture de Haute Horlogerie Blancpain, L’Agence de l’eau Rhône Méditerranée-Corse, la Fondation du Prince Albert II de Monaco, les Explorations de Monaco, l’Office français de Biodiversité, le Parc naturel marin du Cap Corse et de l’Agriate et Bastia Offshore Fishing

Le projet ANGE (2021-2023) repose sur trois axes de travail :

1.Mieux connaitre son habitat et les pressions qui s’y exercent. Où se trouve l’ange de mer commun ? Sa distribution spatiale peut-elle être expliquée par les activités humaines ou la qualité des habitats marins ?

Les scientifiques vont développer une nouvelle méthode de  détection (barcoding) de l’ange de mer commun à partir de son ADN présent dans l’eau (ADN environnemental), puis rechercher sa présence tout le long de la côte des Agriates à Solenzara, une partie de l’échantillonnage a été réalisé au sein du Parc naturel Marin  du Cap Corse et des Agriates, dans la continuité de la plaine orientale. Avec les résultats de ce protocole innovant, les zones fréquentées par l’espèce seront mieux connues sans pour autant avoir été perturbés. La présence/absence sera mise en lien avec des observations de pêcheurs et de chasseurs sous-marins volontaires (données relevées par J.-J. Riutort de Bastia Offshore fishing depuis 1988 + questionnaire en ligne réalisé avec l’aide de Pierre-Charles Luzi de Scola Pesca & Natura di Corsica), la qualité des habitats sous-marins (images sonar, paramètres relevés en plongée), les espèces de poissons associées (caméras, ADN environnemental) et les activités humaines côtières (projet IMPACT).

2. Mieux connaitre sa biologie. Tous les anges de mer de Corse se reproduisent-ils entre eux ou existe-t-il des populations séparées ? Y-a-t-il encore des échanges génétiques avec les autres populations les plus proches (Italie, Afrique du Nord, Grande-Bretagne et Canaries) ? Comment se déplacent et se nourrissent les individus ? Sont-ils en bonne santé ? En partenariat avec des pêcheurs volontaires et des scientifiques de Stella mare, différents prélèvements seront effectués en vue d’étudier son microbiome[1] interne et externe, son régime alimentaire et la structuration génétique de sa/ses populations. Quatre individus vont être équipés d’une balise satellite afin de suivre leurs déplacements durant 10 mois.

3.Faire connaitre. Il s’agit ici d’informer sur le statut de conservation de l’espèce, les menaces qui pèsent sur elle, son interdiction de pêche, son rôle fonctionnel pour les écosystèmes marins. Des courtes vidéos à destination du grand public seront réalisées. Un livret pédagogique scolaire sera également fourni et distribué aux aires marines éducatives du parc (AME). Les données seront ensuite disponibles sur la plateforme Medtrix.Mesurant entre 80 et 160 cm à l’âge adulte, l’ange de mer commun est un prédateur de fond qui peut atteindre 2,40 m. Il est très sensible à la pêche de fond et s’emmêle facilement dans les filets à grandes mailles. En tant qu’espèce parapluie[2], l’ange de mer commun pourrait donc être vu comme un bioindicateur de la bonne santé des écosystèmes côtiers puisque sa présence serait la conséquence d’une bonne intégrité des fonds, d’abondance de proies et d’une faible pression de pêche.

Les Picarels, ou jarrets (Spicara smaris)

La redécouverte récente de ce phénomène particulier de reproduction suscite de nombreuses interrogations. Les objectifs de la mission 2022-2023 sont les suivants :

  1. Caractériser la dynamique de quatre zones de frayère (dates, paramètres environnementaux, surface, densité de nids) par des observations en plongée et des vidéos fixes (« caméra de surveillance posée au fond près des nids »).

La connaissance actuelle du processus de reproduction des picarels détaille que ces poissons à hermaphrodisme protogyne[1] se reproduisent dès l’âge de deux ans pour les femelles et trois ans pour les mâles. Lors de la reproduction, un grand nombre d’individus se rassemblent sur le sable en bordure des herbiers de posidonie. En livrée nuptiale, les mâles tournoient et creusent, à l’aide de leur caudale, des nids en forme de cuvette. Ils attirent ensuite une femelle nageant au-dessus de leur nid et l’incitent à pondre au centre de celui-ci. Après avoir fécondé les œufs, le mâle restera sur le nid pour le ventiler et le protéger. Après la reproduction, les individus se dispersent en pleine eau et/ou dans les herbiers pour y vivre en petits bancs. Combien de temps durent les nids ? Combien sont-ils ? Quels sont les comportements des picarels entre eux (parade, ponte, changement de couleurs…) et envers les autres espèces ?

  1. Inventorier la faune associée.

Utiliser l’ADNe offre l’avantage de détecter les espèces cryptiques et craintives habituellement non comptabilisées par des comptages visuels en plongée. Quelles espèces sont attirées par les nids de picarels ? Des prédateurs habituellement rares sont-ils détectés ?

  1. Evaluer et modéliser des nids. La semaine d ’activité maximale des frayères sera détectée. Lors de cette période, la zone couverte par chaque site de frayère sera cartographiée pour en évaluer la surface. Sur chaque site étudié, une zone de 300 m² sera reconstruite en 3D à partir d’un grand nombre de clichés acquis in situ. Il sera ainsi possible de se rendre compte du paysage sous-marin construit par les picarels, et de calculer la densité de nids, leurs dimensions ainsi que le volume de substrat déplacé.
  1. Faire le lien avec l’état de santé des herbiers de posidonie en amont et les pressions recensées. Les frayères de picarels se trouvent au niveau de l’écotone (zone de transition entre deux écosystèmes) herbier de posidonie – fonds meubles du circalittoral. Il s’agit d’évaluer en quoi la qualité des herbiers de posidonie situés en amont et la diversité des activités exercées sur les sites influencent les caractéristiques des frayères de picarels. Nous nous attendons à observer une forte biodiversité car les herbiers de posidonie corses sont les mieux préservés de France et un écotone est généralement très riche en biodiversité car il abrite des espèces propres à ce milieu en plus des espèces des écosystèmes le bordant (ici herbier de posidonie + fonds meubles).

[1] Se dit d’une espèce qui commence par être femelle puis devient mâle en vieillissant

[1] Communauté de micro-organismes associés

[2] « Umbrella species » en anglais. Se dit d’une espèce dont la protection, si elle est efficace, amène à la protection de tout l’écosystème de par l’étendue de son territoire et ses besoins.

CP_Des anges et des nids